C’est en 1919 que Fernando Pessoa a rencontré la femme qui restera gravée dans l’histoire comme sa seule compagne : Ofélia Queiroz. Ils se seraient rencontrés vers la fin de l’année, de sorte que, entre l’automne 2019 et le début de l’hiver, on célèbre le centenaire de cette rencontre qui a marqué la vie de Pessoa et qui a donné lieu a une longue histoire d’amour, parmi les plus lues et les plus commentées de la littérature portugaise. Regardons de plus près la dimension de l’amour dans la vie et l’œuvre du poète…

Fernando et Ofélia

On sait que Fernando Pessoa et Ofélia Queiroz se sont rencontrés dans les bureaux de la société Félix,  Valladas & Freitas, situés dans le centre historique de Lisbonne, au 2ème étage du numéro 42 de la Rua da Assunção. Fernando avait alors 31 ans et il travaillait au sein de cette société, comme parmi tant d’autres, où il exerçait l’activité de traducteur de documents commerciaux. Ofélia, âgée de 19 ans, la plus jeune et la plus choyée de huit enfants, parlait le français et rêvait d’une vie plus indépendante de sa famille, ce qui l’a amenée à chercher du travail en tant qu’employée dans la même société, au sein de laquelle elle a été admise vers de la fin de l’année 1919.

C’est Ofélia qui, de nombreuses années plus tard, racontera leur première rencontre, qui a eu lieu le jour même de son entretien d’embauche. La description qu’Ofélia a fait de Fernando, alors que celui-ci montait les escaliers de l’immeuble, est devenue célèbre :         « Alors qu’il marchait, on aurait dit que ses pieds ne touchaient pas le sol ». Pendant qu’elle attendait qu’on lui ouvre la porte, Ofélia a vu arriver, soudainement, cet homme, portant « des lunettes et un nœud de papillon », qui a tout de suite suscité une réaction sympathique à la jeune fille : « Je ne sais pas pourquoi, j’ai tout de suite eu une terrible envie de rire ». Elle ne savait pas encore que cet homme serait, quelque temps après, un de ses collègues de travail (mais pas uniquement…).

C’est aussi à travers les mots de Ofélia que nous connaissons les circonstances du premier baiser qu’ils ont échangé. Nous sommes au début de l’année 1920 et, soudainement, alors qu’ils se trouvent seuls dans les bureaux, plongés dans le noir à cause d’une panne d’électricité, a lieu leur premier moment d’intimité. Et le poète en a profité. Il a allumé une lampe à pétrole, s’est approché du bureau où Ofélia travaillait habituellement et, en attendant que l’électricité revienne, il lui a déclamé des vers d’amour de Hamlet de Shakespeare, dédiés à Ophélia, personnage féminin du drame :

« Ô chère Ophélia, je suis mal à l’aise en ces vers : je n’ai point l’art d’aligner mes soupirs ; mais je t’aime au-dessus de tout ! Oh ! Par-dessus-tout ! Crois-le. » Ce qui s’est passé par la suite est déjà enraciné dans la mémoire collective des lecteurs de Pessoa. Selon les mots de Ofélia : Fernando « m’a embrassée ardemment, comme un fou ». Ofélia est rentrée chez elle « compromise et confuse », et c’est ainsi qu’a commencé leur relation. Une relation faite de baisers, certes, mais aussi de ballades à travers les rues de Lisbonne, et de cartes d’amour.

Toutes les lettres d’amour sont ridicules

Leur relation a duré environ deux ans, et a connu deux phases distinctes : la première en 1919-1920, la seconde en 1929-1930. Le principal témoignage des ces années sont les cartes d’amour, qui ont été publiées, aux cours des décennies qui ont suivi la mort du poète, dans diverses éditions successives. Nous connaissons aussi, grâce à l’effort des académiciens Pizarro, Ferrari et Cardiello, certains des cadeaux que Pessoa a offert à sa bien-aimée.

Dans les lettres, nous découvrons un Pessoa différent, plus humain et sentimental, du génie abyssal de l’Inquiétude et de l’architecte qui a construit la complexité des hétéronymes. Des mots de « Nininho » dédiés à son « Bébé », il ressort un Pessoa amoureux, parfois jaloux, doux, dévoué et, bien évidemment, ironique. L’hétéronyme Álvaro de Campos a d’ailleurs envoyé une lettre à Ofélia pour lui dire que son « ami » Fernando n’était pas en mesure de… communiquer avec elle (!). Campos est d’ailleurs l’auteur d’un célèbre poème de 1935, dans lequel l’échange épistolaire entre Fernando et Ofélia semble faire écho :

« Toutes les lettres d’amour sont

Ridicules.

Elles ne seraient pas des lettres d’amour si elles n’étaient pas

Ridicules.

Moi aussi en mon temps j’ai écrit des lettres d’amour.

Comme les autres,

Ridicules.

Les lettres d’amour, si amour il y a,

Sont fatalement

Ridicules.

Mais, tout bien compté,

Il n’y a guère que ceux qui jamais

N’ont écrit de lettres d’amour

Qui sont

Ridicules. »

Ofélia a sans aucun doute compris à qui elle avait à faire : un homme, Pessoa, dont la mission littéraire – qui, selon lui, lui avait été confiée par Dieu lui-même, occupait tout son esprit et toute son activité. C’est certainement ceci, parallèlement aux variations errantes de l’humeur qui, parfois, saisissaient Pessoa, la raison qui l’a poussé à suspendre et mettre fin à sa relation avec Ofélia, que ce soit en 1920, ou, définitivement, en 1930. Quant à la seconde phase de leur relation, il convient de rappeler que celle-ci se doit à l’initiative de Carlos Queiroz, un jeune poète, ami de Pessoa et neveu de Ofélia, avec qui il vivait dans le quartier du Rossio, près de la Gare. En effet, c’est Carlos Queiroz qui a remis à sa « tante » Ofélia la célèbre photographie de Pessoa, prise « en flagrant de litre » dans la boutique de l’enseigne Abel Pereira da Fonseca, dans le centre historique. La vision de l’image a suscité de la sympathie chez Ofélia et, peu après, a commencé la seconde phase de la relation, à laquelle Pessoa a mis fin quelques mois après, en déclarant à Ofélia ne pas pouvoir (ou ne pas vouloir) se marier en raison des difficultés que sa mission d’écrivain imposait à son existence (parmi elles, des difficultés financières considérables).

L’amour chez Pessoa

Comme certains l’ont déjà affirmé plusieurs fois, l’aspect amoureux ou sentimental ne serait pas prédominant dans l’œuvre et dans la vie de Pessoa. Il se peut que cela soit, en partie, vrai. Toutefois, ceux qui ont la patience de parcourir les milliers de pages de l’œuvre du poète remarqueront la présence de plusieurs poèmes d’amour et d’autres textes liés à des thèmes sentimentaux et au féminin. Quant à ce dernier aspect, par exemple, une sélection de poèmes consacrés aux femmes a fait l’objet d’une interprétation musicale par la pianiste et compositrice brésilienne Patrícia Costa, dans l’album O Feminino em Pessoa [Le Féminin chez Personne].

En ce qui concerne les poèmes d’amour, il existe quelques livres et anthologies qui nous présentent fort justement cette facette de l’auteur. Nous en mentionnons ici trois : Amo como o Amor Ama [J’aime comme l’Amour Aime], avec l’organisation de Mariana Grey de Castro ; Amar é Pensar [Aimer, c’est Penser], anthologie poétique éditée par Vasco Silva ; une autre anthologie, Amor na Obra Literária de Fernando Pessoa [L’Amour dans l’Œuvre Littéraire de Fernando Pessoa], préfacée par Ricardo Belo de Morais.

Antes de finalizar, é oportuno referir que apesar de Ofélia ter provavelmente sido o único compromisso amoroso com alguma estabilidade na vida de Pessoa, este terá tido outras paixões mais ou menos breves, como é o caso da mulher inglesa Madge Anderson, com a qual Pessoa trocou cartas e à qual provavelmente dedicou versos poéticos, pouco tempo antes de falecer, em 1935. E mais segredos ainda poderão sair da famosa “arca” deste homem tão «plural como o universo». Contudo, cem anos depois daquele primeiro e inesperado encontro nas escadas de um prédio da Baixa, o nome de Ofélia Queiroz continua a ser o nome do amor, quando pensamos em Fernando Pessoa.

«Fiquei louco, fiquei tonto,

Meus beijos foram sem conto,

Apertei-a contra mim,

Enlacei-a nos meus braços,

Embriaguei-me de abraços,

Fiquei louco e foi assim.»

F. Pessoa

Fabrizio Boscaglia

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Edições consultadas e citadas:

F. Pessoa, Cartas de amor, organização, prefácio e notas de David Mourão-Ferreira, preâmbulo e estabelecimento do texto de Maria da Graça Queiroz, Lisboa, Ática, 1979.

Cartas de amor de Fernando Pessoa e Ofélia Queiroz, ed. Manuela Parreira da Silva, 3ª ed., Porto, Assírio & Alvim, 2015.